Si vous vous êtes déjà interrogé sur ce que pouvait être l’art conceptuel alors autant vous présenter celui qui est considéré comme étant à l’origine de ce courant artistique : Joseph Kosuth. Voici donc un de mes travaux en histoire de l’art de cette année dans lequel je devais présenter Joseph Kosuth et deux de ses œuvres, ce qui suit est donc le contenu du dossier que j’ai rendu en fin de semestre et dont j’attendais la note pour décider de le publier ici ou non. C’est un simple travail de recherches/synthèse dans lequel je présente ma vision du travail de Joseph Kosuth entre 1958 et 1976.
Je vous rappelle que les publications sur horizon noir sont sous licence Créative Commons dont le détail est présent en bas de la colonne de droite, n’oubliez pas de citer vos sources si vous souhaitez utiliser mes travaux.
Je vous propose de diviser la lecture de ce dossier en trois parties, la première consacrée à l’artiste et les deuxième et troisième à une œuvre chacune. Bonne lecture !
« […] s’il est impossible d’inventer des formes nouvelles, on peut toujours inventer des sens nouveaux. » (1)
Cette déclaration de Joseph Kosuth,au cours d’une interview accordée à la chaine WBAI le 7 Avril 1970 (2), expose de manière claire et concise la volonté de Joseph Kosuth d’apporter un sens nouveau à l’art et de rompre avec le formalisme. Symbole de son engagement pour la création d’un art conceptuel, son article Art After Philosophy (3) écrit et publié l’année précédente, développe point par point sa critique du formalisme, ses objectifs et ses inspirations. Au cours des années soixante, il met sur pied un mode de travail basé sur la tautologie comme dispositif créateur de sens. Ce dispositif reste aujourd’hui encore un fondement majeur de sa pratique artistique.
Joseph Kosuth est un artiste américain né en 1945 et toujours en activité aujourd’hui. Chef de file de l’art conceptuel dont il pose les bases dans son article en trois parties Art After Philosophy. Il voyage beaucoup entre l’Amérique (U.S.A., Canada, Mexique) et l’Europe à l’issue de ses études à la
School of Visual Arts à New York (où il y enseigne encore au département des Beaux Arts). En parallèle de ses voyages et de sa propre activité artistique il organise des cours et des expositions non officielles d’Ad Reinhardt, Donald Judd, Sol LeWitt ou encore Robert Smithson durant les années 1966 et 1967. En 1967 il fonde la Lannis Gallery à New York, qui sera rapidement rennomée en Lannis Museum of Normal Art et où Joseph Kosuth présentera l’exposition Opening Exhibition Normal Art, dans laquelle l’on retrouve des artistes tels que Andre, Barthelme, Bochner, Darboven, De Maria, Kawara, Kosuth, Kozlov, LeWitt, Lozano, Morris, Rockburne, Ryman, Smithson et d’autres.Lors de cette exposition un élément ne manque pas de souligner l’affinité toute particulière de Kosuth pour Ad Reinhardt, il place les sentences de Art as Art au dessus de l’accueil de la galerie alors que dans le même temps il adopte le sous titre Art as Idea as Idea pour ses travaux. Ce dernier a beaucoup influencé les pratiques de Kosuth et est certainement à l’origine de son usage de la tautologie.
« La seule chose à dire à propos de l’art est qu’il est unique. L’art est art en tant qu’art et tout autre chose est une autre chose. L’art en tant qu’art n’est rien d’autre que l’art. L’art n’est pas ce qui n’est pas art. » (4)
Arrêtons nous un instant sur cette notion de tautologie qu’il est important de bien comprendre pour saisir l’usage qu’en fait Joseph kosuth. Voici la définition du Larousse :
« Tautologie, nom féminin (bas latin tautologia, du grec tautologia) • Négligence de style ou procédé rhétorique consistant à répéter la même idée en termes différents. • Formule logique universelle valide, selon laquelle A OU A -> A (tautologie du calcul des propositions) et ∀x P(x)→Ǝx P(x) (tautologie du calcul des prédicats) » (5)
Cette définition nous présente deux sens pour le terme tautologie, un premier sens littéraire qui souligne l’idée de répétition portée par ce mot et un second sens mathématique qui désigne une proposition toujours vraie. La définition proposée par le site wikipédia hybride ces deux sens en posant la tautologie comme une phrase […] ainsi tournée que sa formulation ne puisse être que vraie (6). C’est cette dernière formulation qui résume le plus efficacement l’emploi de la tautologie par Joseph Kosuth comme dispositif créateur de sens.
Marcel Duchamp a également influencé de façon considérable sa pratique artistique, posant en quelque sorte un socle pour une grande partie des travaux de Kosuth, en déportant la conception usuelle de l’art hors du formalisme – que Kosuth abhorre – tout en en conservant le sens :
« L’événement qui permit de concevoir et de comprendre qu’il était possible de parler un nouveau langage tout en conservant un sens à l’art fut le premier ready-made de M. Duchamp. » (7)
Il rencontre le marchand d’art, commissaire et éditeur Seth Siegelaub en 1968 et participe l’année suivante à l’exposition January 5-31 8 au coté de Robert Barry, Douglas Huebler et Lawrence Wiener.
Lorsque Kosuth parle de ses travaux entre les années 60 et 70, il évoque à plusieurs reprises la crainte de la réification des idées qu’il met en jeu. Le processus de réification permet une […] Transformation, transposition d’une abstraction en objet concret, en chose (9). La crainte de Kosuth est donc de voir ses idées prisonnières des objets qu’il produit pour présenter ses propos. Dans l’interview qu’il accorde à Jeanne Siegel en 1970 (10) il déclare notamment au sujet de la conservation de son travail réalisé pour la Biennale du Whitney :
« On jette les étiquettes, on s’en débarrasse d’une façon ou d’une autre. C’est l’information qui importe. » (11)
Ce raisonnement se retrouve dans plusieurs de ses travaux, par exemple dans One and Three Chairs (1965), ce qui est donné à voir varie en fonction du lieu car ce qui compte c’est l’information, la forme est secondaire.
(1) Art Conceptuel I : art & langage, Robert Barry, Hanne Darboven, On Kawara, Joseph Kosuth, Robert Morris, Lawrence Weiner : du 7 octobre au 27 novembre 1988, CapcMusée d’art contemporain, Bordeaux, Musée d’art contemporain de Bordeaux, Bordeaux, 1988.
(2) Jeanne Siegel, sans titre sur WBAI-FM, New York, 7 avril 1970 (publié sous le titre : “Joseph Kosuth : Art as Idea as Idea”, in Art-Words, Discourse on the 60’s and the 70’s, U.M.I. Press, Ann Arbor, 1985)
(3) Joseph Kosuth, Art After Philosophy, in Studio International, octobre 1969.
(4) Ad Reinhardt, “Art as Art“, in Art International, vol. 6/10, décembre 1962 (traduit en français dans le catalogue Ad Reinhardt, Centre National d’art contemporain, Paris 1973).
(5) http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/tautologie/76858.
(6) http://fr.wikipedia.org/wiki/Tautologie (nda : bien que discutable d’un point de vue lexical, cette définition formule de façon assez juste la notion de tautologie chez Joseph Kosuth.).
(7) Joseph Kosuth, Art After Philosophy, art press n°1 dec./jan.1973, p. 27 (traduction de l’article original parut en octobre 1969 dans Studio International).
(8) http://www.sites.univ-rennes2.fr/cabinet-livre-artiste/auteurs/collectif/january-5-31-1969.
(9) Définition du TLFI (Trésor de la Langue Française Informatisé) via le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), http://www. cnrtl.fr/definition/réification.
(10) Joseph Kosuth dans l’interview accordée à Jeanne Siegel, sans titre sur WBAI-FM, New York, 7 avril 1970 (publié sous le titre : “Joseph Kosuth : Art as Idea as Idea”, in Art-Words, Discourse on the 60’s and the 70’s, U.M.I. Press, Ann Arbor, 1985).
(11) Joseph Kosuth, traduction de l’interview accordée à Jeanne Siegel, op.cit. in Art Conceptuel I : art & langage, Robert Barry, Hanne Darboven, On Kawara, Joseph Kosuth, Robert Morris, Lawrence Weiner : du 7 octobre au 27 novembre 1988, Capcmusée d’art contemporain, Bordeaux, Musée d’art contemporain de Bordeaux, 1988.