Petite pause poétique en cette fin d’année avec le travail de la talentueuse Pauline Saglio, étudiante à l’ECAL (Ecole Cantonale d’Art de Lausane). Lire l’heure est devenu une action extraordinairement banale, presque un réflexe, au point que nous regardons mécaniquement l’heure sans y accorder réellement d’attention. Avec Rewind, Pauline Saglio nous propose de prendre quelques instants pour réinvestir notre rapport au temps, se réapproprier cette action devenu si banale de lire l’heure. Pour y parvenir elle n’hésite pas à nous inviter à redécouvrir des geste désuets, tel que remonter une horloge et déclencher ainsi une lecture poétique et envoûtante du temps qui passe.
Génèse d’un logotype
Monochomes… Ou pas !
Aujourd’hui je vous présente un travail réalisé il y a quelques mois dans le cadre d’un atelier dédié à la pratique du livre d’artiste. Un livre d’artiste, en quelques mots même si cette explication nécessiterait plusieurs pages, est un travail artistique exploitant la forme du livre et de manière plus large la forme de l’objet imprimé (magazine, flyer, fanzine…), mais attention il ne s’agit pas d’une forme de recueil d’œuvres à la façon d’un album photo par exemple. Dans le cadre de cet atelier, il a été demandé aux étudiant de produire une publication d’artiste ; j’ai donc choisit de présenter un livre dans lequel je porte un regard inhabituel sur les monochromes, pour cela j’ai exploité les codes du livre pour instaurer un dialogue entre le minimalisme des monochromes et le regard inquisiteur des sciences pour qui la simplicité n’est qu’une façade. Bref, je vous laisse maintenant regarder ces extraits du livre produit, qui recense une trentaine de monochromes.
Joseph Kosuth : les débuts de l’art conceptuel. 3/3
Suite et fin du dossier sur Joseph Kosuth, où je m’intéresse à la place du langage dans sa pratique artistique.
Je vous rappelle que les publications sur horizon noir sont sous licence Créative Commons dont le détail est présent en bas de la colonne de droite, n’oubliez pas de citer vos sources si vous souhaitez utiliser mes travaux.
Bonne lecture !
Cette volonté de produire un art sans objet trouve un nouveau souffle à peine un ans plus tard, après ses travaux avec le verre il se met à travailler avec l’eau pour les mêmes raisons que pour le verre. Celle-ci est sans forme en plus d’être sans couleur et lui permet donc d’exploiter ce nouveau matériau de façon analogue au verre. En 1966, il réalise alors un “blow-up”, un agrandissement photographique, de la définition du mot water dans un dictionnaire. Il commence alors une série montrant les définitions des matériaux dont il se sert pour ses productions, contrairement à de
précédents travaux comme One and Three Chairs (16) ou Clock (One and Five) (17 )où les définitions accompagnent un objet réel et sa représentation photographique à l’échelle 1:1, les “blow-up” produits après sont présentés seuls et sont désormais en négatif (texte blanc sur fond noir) là où les précédents étaient en positifs (texte noir sur fond blanc). Ces nouveaux travaux sont fortement autoréférentiels, ils ne présentent plus le matériau dont il est question mais seulement “l’idée” de celui-ci. Dans One and Three Chairs, la composante formelle que constitue la chaise et sa reproduction photographique est tout à fait négligeable car elles doivent être renouvelées pour chaque nouveau lieu d’exposition, il constate alors qu’il est possible d’avoir une “idée” fonctionnant comme œuvre d’art grâce au seul processus tautologique du langage. Il ne reste finalement plus qu’un pas à franchir pour ne retenir que cette “idée” en éliminant ce surplus de composante formelle pour se rapprocher d’un état irréductible de l’œuvre, sa plus petite unité de proposition possible. Ces “blow-up” sont en général réalisées en plusieurs langues car c’est la compréhension du spectateur qui importe ici, comme un écho à la déclaration de Marcel Duchamp :
« C’est le regardeur qui fait l’œuvre. » (18)
et donc dans le cas de ces “blow-up” la compréhension de l’œuvre par le spectateur est la clé de voûte de la démarche entreprise par Joseph Kosuth, cette préoccupation souligne son souhait de redéfinir aussi le rôle du spectateur. Si dans un premier temps Kosuth emploi des définitions de matériaux, il en vient rapidement à employer des mots plus abstrait comme Nothing, Abstract ou Definition puisque si cette œuvre est fortement autoréférentielle, le fait de s’appuyer sur des définitions de matériaux renvoit en quelque sorte à une “idée” du formalisme.

Joseph Kosuth, Titled (Art as Idea as Idea) The Word “Definition”, agrandissement de la définition de “definition”, 144,8 x 144,8 cm, 1966-68, MoMA.
Il lui faut donc s’en séparer en se tournant vers des mots plus “détachés du réel” comme pour le “blow-up” Titled (Art as Idea as Idea) The Word “Definition” ci-contre, pour ses “blow-up” il adopte le sous-titre Art as Idea as Idea inspiré directement d’Ad Reinhardt. À travers ce sous-titre, Joseph Kosuth cherche à interroger l’idée de l’art d’où le doublement de as Idea, car ce dont il est question ici c’est l’idée que nous avons de l’idée de l’art et non simplement un idée de l’art. L’objectif de Kosuth tout au long de ce cheminement depuis Any Five Foot Sheet of Any Glass to Lean Against Any Wall en 1965 jusqu’à Titled (Art as Idea as Idea) The Word “Definition” entre 1966 et 1968, a été d’abolir le formalisme pour pouvoir poser une nouvelle définition de l’art et de la fonction de l’artiste. En s’emparant du processus tautologique et en l’expérimentant, il finit par produire cette tautologie ultime en nous présentant la définition de la définition qui illustre de manière tout à fait intéressante le sous-titre Art as Idea as Idea.
Au travers de ces deux œuvres, l’objectif de Kosuth est d’établir comme une évidence le fait que l’art est tautologique. C’est à dire qu’il se définit par lui-même et pour y arriver il doit mettre en place un nouveau langage. Ce que Kosuth entend en employant le terme langage c’est le moyen d’expression de l’art comme la sculpture ou la peinture par exemple. Pour servir ses objectifs, il s’oriente vers un art sans objets. En effet, malgré qu’il produise des “blow-up” ou des pièces en verre, il insiste à plusieurs reprises sur l’insignifiance des pièces ainsi produites, seul le travail qui conduit à ces pièces compte. Cette idée est contenu dans le titre : Any Five Foot Sheet of Glass to Lean Against Any Wall, l’indication selon laquelle il peut s’agir de n’importe quelle plaque de verre et de n’importe quel mur est directement énoncée dans le titre de l’œuvre et il en est de même pour ses autres pièces comme One and Three Chairs par exemple. Au final, il s’efforce de ne conserver chez son spectateur que “cette idée” et ce faisant il redonne un rôle à ce dernier au sein de l’œuvre artistique, car c’est l’intervention de celui-ci qui confère un sens à l’œuvre. En parallèle il pose l’artiste comme celui qui s’interroge sur l’entité art, d’où l’importance de l’aspect tautologique de l’art puisque c’est, finalement, à l’art de s’interroger lui- même et donc à sa fonction et non à ses potentielles qualités formelles. Ces dernières relevant de considérations esthétiques, qu’il distingue des considérations fonctionnelles, puisque ces considérations esthétiques sont en réalité le reflet du bon goût en vigueur d’une époque au cours de laquelle l’œuvre est élaborée et ne sont pas le reflet de l’accomplissement d’une fonction, visant à apporter quelque chose à la conception de l’art. Ce faisant il poursuit la démarche amorcé par Marcel Duchamp lorsqu’il expose Fontaine (19) à New York en 1917,
« Tout l’art (après Duchamp) est conceptuel. » (20)•
(16) Joseph Kosuth, One and Three Chairs, bois et épreuve gélatino-argentique, 200 x 271 x 44 cm, 1965, centre Pompidou.
(17) Joseph kosuth, Clock (One and Five), English/ Latin Version, horloge et 4 photographies, 1965, Tate.
(18) Marcel Duchamp, conférence autour de l’œuvre Fontaine de Marcel Duchamp, 1965.
(19) Marcel Duchamp, Fontaine (urinoir), faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture, 63 x 48 x 35 cm, 1917 – 1964, centre Pompidou.
(20) Joseph Kosuth, Art After Philosophy, art press n°1 dec./jan.1973, p. 27 (traduction de l’article original parut en octobre 1969 dans Studio International).
Joseph Kosuth : les débuts de l’art conceptuel. 2/3
Voici la seconde partie de mon dossier sur Joseph Kosuth, dans laquelle je m’intéresse à son œuvre Any Five Foot Sheet of Glass to Lean Against Any Wall (1965), que l’on peut considérer comme point de départ de sa pratique conceptuelle.
Je vous rappelle que les publications sur horizon noir sont sous licence Créative Commons dont le détail est présent en bas de la colonne de droite, n’oubliez pas de citer vos sources si vous souhaitez utiliser mes travaux.
Bonne lecture !

Joseph Kosuth, Any Five Foot Sheet of Glass to Lean Against Any Wall, verre 152,4 x 152,4 cm, 1965, lieu inconnu, 2010.
Sa pratique de la peinture cesse une fois ses études d’art terminées, il entame alors des recherches dans l’objectif de s’affranchir du formalisme et de la composition. Un des premiers pas qu’il fait dans cette direction est l’emploi du verre, matériau qu’il commencera par présenter sous différentes formes – brisé, pilé ou encore empilé – dans des boites elles-mêmes en verre, chacune accompagnée de l’inscription “verre“. La transparence du verre intéresse Kosuth car cela lui permet de s’affranchir des problèmes liés à la couleur, inhérents à la composition et au formalisme. Le choix d’un matériau achromatique découle de ses derniers travaux de peinture, dans lesquels il abandonne l’emploi des couleurs au profit de niveaux de gris. Selon lui, plus précisément selon ce qu’il sait de la psychologie des couleurs, « […] – le noir, le blanc et le gris – suscitent une réaction plus transculturelle que les couleurs chromatiques, » (12) et permettrait donc de véhiculer plus efficacement des idées. C’est au cours de ses travaux avec le verre qu’il se met à utiliser le langage, comme pour ses boites intitulées “verre“ qui préfigurent ses futur travaux tautologiques. En 1965, Joseph Kosuth présente “Any Five Foot Sheet of Glass to Lean Against Any Wall” (N’importe Quelle Plaque de Verre de Cinq Pieds Adossée à N’importe Quel Mur). L’utilisation du langage est ici très importante, elle donne tout son sens à l’œuvre en en faisant un objet tautologique, puisque le titre correspond précisément à ce qui est montré et vice versa. De plus, conformément à ses objectif, cette réalisation n’est ni une sculpture car elle n’est pas vraiment au sol, ni une peinture car elle n’est pas accrochée au mur et est donc un premier glissement hors du formalisme. Cette première pièce est celle qu’il revendique comme sa première expérimentation de la fonction tautologique du langage, il prend alors la décision de dater les pièces qui suivront (Clear, Square, Glass, Leanning (13) ou Box, Cube, Empty, Clear, Glass – a Description (14), par exemple) de 1965, date à laquelle le concept de ce travail à pris forme. En faisant ceci il renforce l’importance donnée au concept qui nous est présenté ici, à savoir la fonction tautologique du langage, au détriment de l’objet qu’il produit pour nous montrer ce concept. Un autre exemple de cet usage de la tautologie est l’oeuvre One and Three Chairs (15) qu’il produit ultérieurement et dans laquelle il introduit l’usage d’un agrandissement (“blow-up”) de la définition du mot chaise, associé à une vraie chaise et sa reproduction photographique à l’échelle 1:1. Cette dernière montre bien la place grandissante du langage dans le travail de Joseph Kosuth et fonctionne comme une charnière dans sa production, le langage y étant présenté à armes égales avec le matériel, là où précédemment il se reposait essentiellement sur le fonctionnement auto-référentiel de l’œuvre et annonce un basculement vers l’emploi du langage seul.
(12) Art Conceptuel I : art & langage, Robert Barry, Hanne Darboven, On Kawara, Joseph Kosuth, Robert Morris, Lawrence Weiner : du 7 octobre au 27 novembre 1988, CapcMusée d’art contemporain, Bordeaux, Musée d’art contemporain de Bordeaux, Bordeaux, 1988.
(13) Joseph Kosuth, Clear, Square, Glass, Leaning, 4 vitres, 122 x 122 cm chacune, 1965, collection Giuseppe Panza di Biumo.
(14) Joseph Kosuth, Box, Cube, Empty, Clear, Glass – a Description, cubes de verre et lettres noires, 40 x 40 x 40 inch chacun, 1965, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden.
(15) Joseph Kosuth, One and Three Chairs, bois et épreuve gélatino-argentique, 200 x 271 x 44 cm, 1965, centre Pompidou.